Jean le bleu by Giono

Jean le bleu by Giono

Auteur:Giono
La langue: fra
Format: epub
Tags: LITTERATURE GENERALE
Éditeur: Grasset
Publié: 2010-08-14T16:00:00+00:00


CHAPITRE VIII

Vendanges. - Le vin des hommes.– L'espérance, pour ceux de bonne foi. - « Couvre-moi, couvre-moi. » – Gonzalès. - Antonine, le Mexique et l'odeur de la morue. – « Toi, plus doux que la madone. » – La sœur de Césarie. - La foire au bord du fleuve. – L'hiver. – Le couteau. – La guitare. – Mariage de Gonzalès. - Mort de Décidément.

Le jour arriva où je devais retourner au collège. Mon père avait écrit : « J'irai le chercher samedi. »

On était à la fin des vendanges. Les brebis guéries étaient prêtes à recevoir le bélier; inquiètes et désireuses elles appelaient tristement vers le village. Massot nous vint dire de les descendre. Les agneaux avaient maintenant de bonnes jambes, ils bondissaient devant nous comme une écume d'eau; après venaient les brebis.

– Elles sont toutes enfemellées, avait dit Massot. On les mettra à l'étable du figuier ou bien mes béliers vont se crever.

Avec leur grosse laine boueuse elles coulaient de la colline, sans arrêt, sans tendre la lèvre vers le thym ou la grasse flaque des pervenches ; elles bêlaient vers les étables. Et nous, l'homme noir et moi, nous roulions derrière le troupeau comme des arbres arrachés : lui, comme un vieux chêne, moi comme un petit peuplier. C'était devenu notre bonne habitation, la colline.

Le village sentait le tonneau mouillé et le bois écrasé. Il ne sentait pas le vin, il sentait la lie, la boue des cuves. C'était la fin des vendanges. Dans de gros corsets de planches on écrasait les grappes déjà écrasées. On essayait de tirer encore de tout ça des fils de vin. Il y avait une longue barre de bois toute gluante, et, au commandement, huit grosses mains claquaient sur la barre. Alors, Mérope chantait et on voyait les mains qui se desséchaient en serrant le bois, et puis la force des hommes qui remontait dans les bras comme deux grosses boules de fer, et puis les poitrines qui se gonflaient pour avaler ces boules, et puis les reins qui se rejetaient en arrière, les jambes qui tremblaient; la barre craquait, le pressoir criait son cri d'accouchée, son ventre grésillait d'une écume rouge, et une petite pluie de vin tombait dans la cuve.

Ce vin était là-bas au fond, noir, caillé. Il ne bougeait pas. Il était plat et luisant et le soleil se reflétait dedans. Dans le verre, il restait lourd, moiré de petits arcs-en-ciel et il déchirait la gorge avec son goût de sève et de verdure.

Tous les dix coups, les hommes de la barre buvaient. Ils ne s'essuyaient pas la bouche. Quand leurs mains ne bougeaient pas, elles étaient tout de suite couvertes de mouches comme des mains mortes.

Anne avait un grand chapeau d'osier tressé. Cela faisait ombre sur tout le haut de son visage où il y avait les deux feux de ses yeux et de son front. On ne voyait plus d'elle que son petit menton dur et un peu jaune comme les vieux osselets de mouton. Elle avait trouvé des figuiers cachés pour jouer toute seule à la maison des airs.



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